Republié via Innoreader Read More
Ces derniers jours, l’Europe centrale est au cœur de l’actualité en raison de l’épisode pluvieux remarquable engendré par la tempête Boris. De graves inondations ont fait plusieurs victimes. Comment expliquer ce phénomène ?
Dépression boostée par la Méditerranée et la Mer Noire
Issue de la coulée d’air froid qui a touché la France la semaine dernière, la dépression Boris s’est formée à partir d’une goutte froide venue s’isoler sur l’Europe centrale. Piégée entre un anticyclone sur la France et un autre sur la Russie, celle-ci a fait du sur-place durant plusieurs jours. La position de la dépression, au nord des Balkans, a drainé une masse d’air gorgée en humidité en provenance de Méditerranée et de Mer Noire, dont les eaux sont encore chaudes à cette saison. On le voit très bien avec la quantité d’eau précipitable sur la carte ci-dessous (quantité d’eau qui tomberait si toute la vapeur contenue dans une parcelle d’air venait à se condenser).
Eau précipitable dans l’atmosphère le samedi 14 septembre 2024 – wxcharts.com
L’intensité des précipitations qui se sont abattues sur le centre de l’Europe a donc été dictée par le positionnement de la dépression Boris. On constate cet enroulement des vents autour de la dépression avec une masse d’air excessivement humide remontant de Méditerranée, d’une part, mais également de la Mer Noire, d’autre part. L’alimentation la plus importante provenait d’ailleurs de la Mer Noire, avec une masse d’air gorgée en humidité remontant sur l’Ukraine avant de se diriger vers la Pologne puis la République Tchèque et l’Autriche. Le potentiel pluvieux s’est donc vu considérablement renforcé.
Origines de la masse d’air atteignant Vienne (Autriche) le dimanche 15 août 2024 – via @SergeZaka
Après un été remarquablement chaud en Méditerranée et en Europe centrale, la température de la mer était encore à des niveaux remarquablement élevés au début du mois de septembre 2024. En Méditerranée, l’eau en surface atteignait encore 27 à 30°C en moyenne tandis que la température de la Mer Noire était souvent comprises entre 24 et 27°C. De telles valeurs, nettement supérieures à la normale, constituent un carburant important pour les dépressions car elles causent une évaporation importante et augmente la quantité de vapeur d’eau contenue dans l’atmosphère. Borris s’en est nourrit et a pu provoquer des pluies exceptionnelles.
Température de la mer en surface au début du mois de septembre 2024 – DWD
Des quantités de pluies inédites
Le sud de la Pologne fut particulièrement touché par les pluies diluviennes de cette dépression Boris. Dans les régions frontalières du sud-ouest du pays, les cumuls ont allègrement dépassé les 100 mm. Près de la frontière avec la République Tchèque, certaines stations ont reçu plus de 300 mm (jusqu’à 370 mm localement) ! Par endroits, ces quantités représentent la moitié voire près des deux tiers de la pluviométrie annuelle moyenne, tombée en l’espace de 72 heures !
Cumuls de pluie sur 4 jours en Pologne au lundi 16 septembre 2024 – Szymon Walczakiewicz
C’est en République Tchèque que les cumuls les plus exceptionnels ont été enregistrés. La région de Jeseník, située près de la frontière avec la Pologne, totalise les quantités de pluie les plus astronomiques. La station de Jeseník a recueilli 463,7 mm de pluie en l’espace de 4 jours ! La moyenne d’un mois de septembre n’est pourtant que 89 mm ! Il est donc tombé en 4 jours l’équivalent de 5 mois de septembre entiers !
Pluviométrie record à Jeseník (République Tchèque) en septembre 2024 – via @WxNB_
La partie nord de l’Autriche a également été sévèrement touchée par les précipitations diluviennes de la tempête Boris, qui n’était pas terminée ce lundi 16 septembre 2024. Le bilan provisoire faisait état de plus de 350 mm dans plusieurs villes du pays, pulvérisant les records mensuels de pluviométrie. À Saint-Pölten, il était déjà 361 mm en l’espace de 4 jours alors que l’ancien record sur un mois entier était de 179 mm en juin 2009 ! Un record mensuel littéralement multiplié par deux en quatre jours de temps…
Cumuls de pluie sur 4 jours en Autriche au lundi 16 septembre 2024 – wetterblog.at
Cette carte résume l’étendue géographique spectaculaire des précipitations diluviennes qui se sont abattues sur l’Europe centrale. Si des cumuls de 200 à 400 mm sont déjà rares à échelle locale, les retrouver sur des zones aussi vastes relève de l’inédit dans cette partie du continent. Même avec toutes les infrastructures nécessaires (barrages etc), il est impossible de contenir de telles quantités d’eau tombant sur des zones aussi étendues et les dramatiques inondations étaient inévitables.
Cumuls de pluie de la tempête Boris, arrêtés au dimanche 15 septembre 2024 – climatebook
Graves inondations et lourd bilan
Pour mesurer l’ampleur des crues et des inondations qui ont affecté le centre de l’Europe, la comparaison ci-dessous est idéale. Elle montre le niveau du lac de Pilchowickie en temps normal et ce dimanche 15 septembre 2024, après l’épisode pluvieux historique. Le niveau est monté de près d’une dizaine de mètres, témoignant des quantités historiques de pluie qui se sont abattues dans le secteur. Cette région fait partie de celles qui ont reçu plus de 300 mm de pluie en l’espace de trois jours seulement.
Le lac de Pilchowickie en Pologne en temps normal et le dimanche 15 septembre 2024 – via Tomek Czaplicki
De vastes régions de République Tchèque ont subi de plein fouet les effets des précipitations diluviennes de la tempête Boris. Facteur aggravant, le pays est constitué de plaines encaissées entre des massifs montagneux. En plus des pluies qui s’abattent sur les plaines, celles qui tombent sur les reliefs s’écoulent vers les vallées et contribuent à gonfler les cours d’eau, amplifiant les crues. De nombreuses communes ont été durement touchées, pour ne pas dire dévastées, comme le montre ce cliché à Jeseník.
Graves inondations à Jeseník (République Tchèque) le dimanche 15 septembre 2024 – Michal Furik
Si le sud de la Pologne, la République Tchèque et l’Autriche ont été sur le devant de la scène, la Roumanie a également subi les précipitations diluviennes de la tempête Boris. Dans le pays, ce sont notamment des orages diluviens qui se sont abattus, conduisant à des inondations rapides et très importantes. Sur la photo ci-dessous, la commune de Slobozia Conachi fut l’une des plus durement touchées avec plus d’1,50 mètre d’eau dans certaines habitations ! Au moins quatre personnes ont perdu la vie dans le pays.
Graves inondations à Slobozia Conachi (Roumanie) le samedi 14 septembre 2024 – AFP
Ce lundi 16 septembre 2024, l’épisode pluvieux remarquable n’était pas encore terminé, bien qu’il approchait de son terme. Le bilan humain est d’ores et déjà lourd avec au moins 15 victimes à déplorer dans les différents pays d’Europe Centrale. Ce bilan reste provisoire puisque plusieurs personnes étaient portées disparues ce lundi.
Quel rôle joue le réchauffement climatique ?
Le réchauffement climatique a joué un rôle dans cet événement météorologique catastrophique. Toutefois, tout ne lui est pas imputable. Ce qui n’est pas lié au réchauffement, c’est la formation de la dépression (goutte froide). Ces dépressions entourées par des hautes pressions ont toujours existé et n’ont pas attendu le réchauffement pour faire des ravages. D’ailleurs, on peut souligner que la coulée d’air froid qui fut à l’origine de la formation de la tempête Boris fut anormalement marquée. De telles coulées d’air froid si tôt dans la saison sont devenues rares à l’ère du réchauffement. Or, l’imposante masse d’air froid qui s’est enfoncée sur le centre du continent a joué un rôle clé dans l’activité et la durée de vie de la dépression.
Écart à la normale de la température de la masse d’air (vers 1500m) le 13 septembre 2024 – PolarWx
Toutefois, comme nous l’avons évoqué en début de cet article, le réchauffement a bel et bien accentué l’intensité des pluies associées à la tempête Boris. Si les eaux de la Méditerranée et de la Mer Noire – qui ont alimenté la dépression – n’avaient pas été aussi anormalement chaudes, la masse d’air aurait été un peu moins chargée en humidité et les précipitations un peu moins exceptionnelles. Preuve des effets du changement climatique, Jeseník en République Tchèque a vu une augmentation du contenu en eau précipitable de son atmosphère d’environ 6% depuis 1950 avec une hausse s’accentuant depuis 10 ans. Qui dit masse d’air plus humide dit épisodes pluvieux plus intenses, ce qui s’est malheureusement illustré…
Contenu annuel moyen d’eau précipitable dans l’atmosphère à Jeseník (République Tchèque) – via BenNollWeather