Republié via Innoreader Lire la Suite
Le 27 novembre 1982, une dépression venue du sud a déclenché un épisode neigeux exceptionnel sur le Massif central, touchant fortement Saint-Étienne et les monts du Forez. Le conflit entre l’air doux méditerranéen et l’air froid du nord a fait tomber une neige lourde et abondante, cette fois sans aucune alternance pluie/neige. Ce fut l’une des plus fortes neiges de début de saison jamais observées dans la région.
L’orage de neige de la nuit du 26 au 27 novembre
En début de soirée, la pluie se transforme en neige lourde. Les flocons deviennent rapidement énormes, collants, s’accrochant à tout : arbres, lignes électriques, toits. La température oscille autour de 0 °C, condition idéale pour une neige particulièrement pesante. Au fil des heures, l’intensité augmente. Sur les hauteurs de la ville – La Métare, Montreynaud, Terrenoire – les rues blanchissent en quelques dizaines de minutes. Puis survient ce que beaucoup n’oublieront jamais : l’orage en pleine tempête de neige. Un passionné de météo racontera des années plus tard sur un forum : « Un orage qui éclate en pleine tempête de neige… c’était surréaliste. » Les éclairs illuminent brièvement des toits déjà chargés, les coups de tonnerre résonnent étouffés par le manteau neigeux. L’expression « neige bleue » naît alors dans la bouche de ceux qui assistent à ce spectacle, en référence à ces éclairs qui colorent la nuit et la neige.

Le lendemain matin, la ville est figée
Au petit matin, Saint-Étienne se réveille… ou plutôt ne se réveille pas. Les voitures ont disparu sous des congères improvisées, les trottoirs ne sont plus que des couloirs étroits entre des murs de neige. Les relevés officiels annoncent 41–42 cm de neige à la station de Saint-Étienne/Bouthéon, un record à l’époque. Dans le centre-ville, on dépasse les 50 cm. Sur les hauteurs de la ville, on estime la couche entre 60 et 80 cm, tandis que le massif du Pilat, lui, dépasse le mètre de neige et se retrouve coupé du monde pour plusieurs jours.
Un habitant se souvient, dans un groupe de souvenirs en ligne : « On descendait la rue sous des branches qui pliaient, prêtes à casser sous le poids de la neige. » Dans certaines rues du centre, des blocs de neige se détachent des toits et écrasent les voitures en stationnement. Par miracle, on ne déplore pas de victimes, mais plusieurs véhicules sont réduits à l’état d’épaves.
Effondrements, tram à l’arrêt et « ville paralysée »
Très vite, le mot s’impose à la Une de La Tribune – Le Progrès : « paralysie ». Sous la charge de cette neige lourde, des structures cèdent : le auvent d’un bar en centre-ville, la toiture du Castorama de Méons, l’entrepôt Casino de Verpilleux, un magasin Coop près de la préfecture.
La ligne de tramway Bellevue – La Terrasse, artère vitale des transports stéphanois, est interrompue toute la journée du samedi 27. La veille au soir, un tram avait déjà déraillé dans le quartier de Bellevue, heureusement sans faire de blessés.
Dans les rues en pente, les voitures patinent, se mettent en travers ou restent simplement abandonnées là où elles se sont arrêtées. Beaucoup de Stéphanois choisissent la seule solution fiable : marcher… ou chausser des skis de fond pour traverser la ville. Des photos d’archives montrent ainsi un homme progressant à skis le long d’un arrêt de bus enseveli.
Des villages isolés à la campagne et dans le massif du Pilat
Au-delà de la ville, la catastrophe prend une autre dimension. Dans le Pilat et en Haute-Loire, certains villages sont littéralement ensevelis. Des témoignages rapportés par des passionnés de climatologie évoquent des hameaux « coupés du monde pendant plusieurs jours », certains ne retrouvant l’électricité que plusieurs semaines après. Les lignes à haute tension cassent « comme des allumettes ». Au plus fort de la crise, environ 330 000 foyers sont privés de courant dans la Loire, la Haute-Loire et une partie du Rhône.
Le gouvernement évoquera quelques jours plus tard, en Conseil des ministres, « des chutes de neige importantes » ayant fortement touché les voies de communication et les lignes électriques dans ces départements.
Plan ORSEC, renforts extérieurs et 243 interventions de pompiers !
Face à l’ampleur des dégâts, le plan ORSEC est déclenché pour la Loire et la Haute-Loire. Des unités de la Sécurité civile arrivent en renfort depuis Brignoles (Var) pour dégager les trottoirs et sécuriser les bâtiments. Des déneigeuses venues de Haute-Savoie sont dépêchées sur place.
À Saint-Étienne, pour la seule période samedi 27 – dimanche 28 novembre, les pompiers effectuent 243 interventions : brancardages à travers des monticules de neige, sécurisation de toitures menaçant de s’effondrer, secours à domicile dans des immeubles difficilement accessibles.
Un pompier racontera plus tard dans la presse locale ces heures éprouvantes, évoquant des déplacements « à pied, en brancard, dans des tranchées de neige » pour rejoindre les victimes. (Paraphrase à partir d’archives de presse.)

Les jours d’après : pelles, luges et tranchées dans la neige
Lorsque les précipitations cessent enfin, un nouveau défi commence : se débarrasser de la neige. Malgré un redoux relatif – les températures repassent au-dessus de 0 °C – les congères résistent plusieurs jours. Des tractopelles chargent la neige dans des camions pour la déplacer, pendant que les habitants manient la pelle devant les vitrines et les entrées d’immeuble. Pour les enfants, ces journées ont un tout autre goût : certaines écoles restent fermées, les transports scolaires sont suspendus. Des photos montrent des gamins riant au milieu de tas de neige dignes d’une station de ski, des luges servant parfois… à ramener les courses à la maison.
Dans la mémoire stéphanoise : la tempête qui a tout arrêté
Aujourd’hui encore, pour beaucoup d’habitants de la région, le 27 novembre 1982 reste “la” tempête de neige de référence.
Les chroniques météorologiques la décrivent comme « une tempête de neige collante qui paralyse par surprise le Lyonnais et la région de Saint-Étienne », insistant sur la lourdeur exceptionnelle de la neige et sur les dégâts considérables au réseau électrique.
Du centre-ville, où la couche a dépassé les 50 cm, aux plateaux du Pilat et de Haute-Loire où l’on a mesuré plus d’un mètre, l’épisode a marqué à la fois les paysages, les infrastructures… et les mémoires.
Et, plus de quarante ans plus tard, il suffit souvent de deux mots pour faire renaître les souvenirs :
« Neige bleue. »

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Auteur : Guillaume Séchet

